dimanche 25 décembre 2016

Georges Guye - autoportraits sculptés : le triptyque et l'homme au manteau

De retour dans l'atelier marseillais de Georges Guye j'ai découvert deux nouvelles sculptures complétant l'autoportrait en pied, échelle 1 à propos duquel j'ai  publié un article  dans ce blog, en juin dernier : 
 Georges Guye m'avait confié qu'il envisageait de compléter cet autoportrait. L'idée lui était venue, pour ainsi dire chemin faisant, au moment où il s'était rendu compte que les proportions du socle prévu pour la sculpture, agrandi de l'échelle 1/3 à l'échelle 1, ne convenaient plus. Il réalisa un autre socle et entreprit de transformer le premier en sculpture autonome, à la manière d'un repentir en peinture.  Il décida d'utiliser cette erreur pour en faire un nouvel objet artistique en lui apportant une profonde modification.  Enfin, il imagina que l'autoportrait deviendrait l'une des trois pièces d'un triptyque comportant en outre une scène avec table de bistrot et  tasse de café et une autre scène de plage montrant les empreintes de pieds d'un baigneur sur le sable.

Autoportrait en plâtre à l'échelle 1 -  hauteur environ 180 cm. Georges Guye s'est représenté en maillot de bain, les deux pieds posés sur le sable, face à la mer, le regard porté sur l'horizon. Il est à hauteur d'homme, dans une pose humble quoiqu'un peu déstabilisante pour celui qui le regarde, parce qu'il s'y livre dans la vérité de la nature *. ll dévoile une intimité sous laquelle on ne le voit jamais et,  pour cette raison,  très significative d'une démarche personnelle et artistique.  Je vous invite, si vous le souhaitez, à lire  mon article du mois de juin dans lequel je proposais quelques éléments de réflexion sur cette sculpture.

*incipit des Confessions, J.J. Rousseau, 1789

 

Le socle transformé est devenu  une sculpture basse figurant une portion de rivage où la vague s'étire sur le sable.  A proximité de l'eau,  sont soigneusement rangées des sandales de plage en plastique translucide, appelées "méduses" et une serviette de bain pliée. De l'homme parti se baigner ne reste gravée dans le sable que l'empreinte de ses pieds.

Georges Guye dit malicieusement que dans les années quatre-vingts, l'artiste Marie Ducaté  raffolait des sandales méduses et aimait à les porter,  même à la ville. Cette remarque à propos de Marie Ducaté m'incite à croire que tout ce qui est représenté dans ce triptyque par Georges Guye renvoie à lui-même (autoportrait), mais aussi à toute son oeuvre et à la période de l'Histoire de l'Art, dans laquelle il s'inscrit avec les autres artistes de sa génération, en particulier ceux de la région marseillaise. 

Cette stèle montre l'absence. L'homme est parti, il s'est enfoncé dans la mer. Est-ce pour la durée d'un bain ?  Est-ce définitif ? La disposition  des objets, laisse penser que cet homme est très méticuleux, ou qu'il a  mis  ses affaires  en ordre en prévision du  grand départ. Dans la mythologie, le Styx est le fleuve qui sépare le monde des vivants de celui des morts, qui le traverse rejoint l'autre monde. D'ailleurs, nombreuses sont les religions qui associent l'eau à la mort.  Matrice originelle, elle intervient aussi dans les rites de purification et le lavage du corps. En outre, chez les chrétiens, l'immersion est un des rituels du baptême,  symbole de mort et de renaissance. Je ne peux m'empêcher d'y penser en mettant en relation l'autoportrait et la stèle, la dimension métaphysique et spirituelle du triptyque est sensible.

Avec cette sculpture Georges Guye revisite son oeuvre. La manière dont  l'eau s'étale en éventail sur  le sable renvoie dans son traitement plastique, à une autre de ses sculptures, un grand panneau mural qui représente un paysage, avec au devant le bras d'un randonneur  (voir la photo de ce paysage en fin d'article).  Le socle procède  de l'auto-citation, la serviette pliée qui complète la composition apporte une note colorée du même effet que les bonbons en relief sur le caleçon de bain. Le sable de la plage renvoie au sablier mesurant le temps qui passe et la brièveté de la vie. Il en est de même pour le matériau choisi pour la sculpture, le plâtre blanc, fragile et délicat en comparaison du bronze, mais très souvent utilisé par le sculpteur, de même que la résine.



Chemin faisant, encore, Georges Guye a pensé à cette troisième pièce.  Une  table de bistrot, tout ce qu'il y a de plus typique, sur laquelle un avant bras s'accoude dans le geste que l'on fait en portant à ses lèvres une tasse de café. Un croissant frais qui sera mangé dans un instant complète la scène. Moins énigmatique que la sculpture précédente, elle dit l'habitude de prendre un petit café accompagné d'un croissant, après la baignade matinale.

Cette scène est comparable à un de ces petits plaisirs qui enchantent Amélie, le personnage du Fabuleux destin d'Amélie Poulain, film de Jean-Pierre Jeunet sorti en 2001. Elle pourrait également illustrer  le livre de Philippe Delerm, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Gallimard, l'Arpenteur, 1997 . Je vous recommande de cliquer sur   "Le croissant du trottoir"  pour lire le texte.

Georges Guye  sculpte l'instant comme un photographe appuie sur le déclencheur.  La tasse de café, le petit noir au comptoir ou en salle,  est un motif contemporain souvent photographié. Deux exemples, Coffee Shop in N.Y. de Saul Leiter en 1950 et un portrait de Giacometti au café de Paris, par Robert Doisneau en 1956.

Saul Leiter - 1950
Giacometti - Doisneau- 1956                

Pour l'anecdote, quand j'ai vu cette sculpture, j'ai offert à Georges Guye le dernier livre de Patti Smith, M. Train  (Gallimard, 2016),  dont un des motifs d'écriture explore le  plaisir de boire un café chaque matin  au 'Ino, un café  de Greenwich Village, à New-York. Ce livre autobiographique, remarquablement écrit qui s'inspire de l'univers rimbaldien,  est  qualifié par l'artiste de "carte de mon existence".  La photo de couverture montre Patti Smith dans une attitude similaire à la pose de Giacometti. Le surgissement du bras replié, la tasse de café , la table sont des éléments communs aux deux photos et à la sculpture de Georges Guye.  J'y vois quelques éléments d'une Vanité, les autres étant apportés par les deux autres sculptures du triptyque, à la fois évocation de la vie, de ce qui en compose les plaisirs et une méditation sur la mort (déjà évoquée).


Pour saisir ce que raconte la scène composée par les trois sculptures, il faut les placer dans l'ordre suivant  (indication donnée par Georges Guye):






Les trois éléments sculptés fonctionnent narrativement comme un strip  BD. L'homme qui regarde la mer songe, peut-être pour se donner du courage avant de plonger dans l'eau froide, au petit café qu'il prendra, comme à son habitude, après le bain de mer matinal. George Guye m'a d'ailleurs fait remarquer que la sculpture comportant la tasse de café n'est pas à l'échelle 1 mais sensiblement plus petite que nature, pour signifier qu'elle ne renvoie pas à la réalité, mais à une image mentale. La première et la troisième pièce sont saisies d'un point de vue externe alors que la seconde l'est du point de vue (interne) du baigneur.

Le triptyque
Ci-dessus un  dessin que j'ai fait  pour expliciter cette question de point de vue et le rapprochement du triptyque  avec un strip BD.

Tout récemment, Georges Guye a réalisé un autre autoportrait au chapeau et au manteau. Ici, quelques photos de la maquette au 1/8ème, celle grandeur nature étant en cours de réalisation. La posture est sensiblement la même que celle de l'homme au maillot de bain, sauf pour les bras dépliés et les mains jointes.  Contraste saisissant dans un face à face entre l'autoportrait dévêtu et celui-ci où le corps est presque entièrement couvert de la tête aux pieds. Le chapeau et le manteau ressemblent vraiment à ceux portés par le sculpteur dans la vie courante. L'effet de mimèsis est recherché, d'ailleurs le manteau sera coloré et sa texture travaillée pour donner l'effet voulu. C'est cela aussi qui intéresse Georges Guye du point de vue technique.   Je sais que le titre choisi par Georges Guye ne fait pas l'unanimité auprès de ses amis, de mémoire je cite : moi dans le manteau que je porterai sur mon lit de mort.  Je ne sais pas s'il faut  préférer les euphémismes... ?

 Il est temps de publier cet article. J'attendrai  la réalisation définitive de ce dernier autoportrait pour le commenter de façon plus complète.
F.L.




Paysage avec une main tenant un bâton.


On peut lire d’autres articles en cliquant sur les liens ci-dessous :
 7 mai 2011, visite d'atelier:
et les photos:
à Propos du SM'Art, 3-6 juin 2011:
Vip art Galerie ( Marseille) 2012:
Visite d'atelier, octobre 2014:
Le suaire de Sainte-Victoire:
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