vendredi 30 août 2013

"Victoria", arrivée à N.Y.


"Victoria" est un récit illustré  racontant la vie d'une jeune femme de province,  partie aux Etats-Unis, avec ses deux enfants. Cet extrait évoque l'arrivée à New-York le 29 novembre 1913, après sept jours de traversée, sur le paquebot "La lorraine" en provenance du Havre. 


     

Quand, de ses propres yeux, elle put vérifier la rumeur colportée par les passagers, New-York en vue ! Victoria sentit un nœud se former au creux de son ventre sitôt suivi d’une décharge brûlante qui  suinta depuis le bas du dos jusqu’à la nuque, dans une vague de sueur.  Ce malaise reflua lentement, laissant place à un sentiment de peur familier qu’elle pouvait dominer. La peur est  une compagne de route qu’il faut avoir à l’œil et pousser devant soi plutôt que la laisser traîner en arrière comme une ancre lourde griffant le dos des terreurs enfouies dans les abysses de l’oubli. Elle avait tant prié pour que ce moment arrive qu’elle croyait en avoir imaginé toutes les sensations possibles.  Mais l’instant présent dévoilait un visage inattendu, brutal qui la prenait par surprise. 

            Un continent d’émotions tapies en elle émergeait qui lui donnait le sentiment de ne plus rien savoir. L’excitation faisait place au doute. Etait-elle son propre danger? Cette peur qui pointait son nez  à la surface était-elle un reste de lucidité lui jetant à la face sa folie vaniteuse ? Pouvait-elle  prétendre échapper à son destin, devenir le surgeon neuf  d’une modeste famille du vieux monde ? La liberté tant convoitée, adorée, à laquelle elle avait sacrifié une vie toute tracée,  s’étendait maintenant devant elle. Une cité immense, couchée de tout son long dans la baie, inconnue, gardée par des murs plus hauts que toutes les cathédrales du monde. 

            Une Madone colossale éclairant la nuit d’un flambeau avançait vers le bateau. Victoria sentit la morsure du vent glacial sur ses joues blêmes, la fatigue lui tombait dessus, ses yeux alourdis par une nuit sans sommeil cherchaient les visages familiers parmi les centaines de migrants massés comme elle  sur le pont. Ses humbles compagnons de voyage admiraient en silence la Liberté venir à portée de main, intacte, immaculée. Des centaines de rêves se lisaient dans leurs regards graves posés sur  la lumière, rêves aux ailes peut-être trop grandes ou trop fragiles qui pouvaient s’embraser et tout anéantir. Mais à cet instant, tout était possible, rien n’était foulé aux pieds, si elle était assez forte pour conserver sa volonté intacte, elle trouverait sur cette terre nouvelle du lait et du miel pour ses fils.

mardi 20 août 2013

dimanche 18 août 2013

Chicorée le matin



Certains matins, on se demande pourquoi on part ? L’envie n’est pas vraiment là, mais c’est dimanche.  Réveil, rituel du matin, on se retrouve sans se poser de question, habillée, sur le vélo. L’air est frais, mais à peine, la roue glisse admirablement sur l’asphalte, les premiers tours de pédale ne réclament aucun effort, sensations agréables. On dépasse les voitures bloquées par un feu rouge, un tour de tête pour s’assurer qu’à cette heure le feu est un décor urbain qui relève de l’absurde, on passe. Debout sur les pédales pour amortir les trous, fissures, pavés  et dos d’âne en tous genres et en tout mal commodes, j’ai hâte de quitter le centre ville.
Chaque sortie me conduit à son moment de rêverie …  Ce matin donc,  sur la D10 qui commence à l’embranchement du puits de Rians et culmine au col des Portes,  elle prend  prétexte des  plants de  cichorium intybus  vivaces, plus communément connus sous le nom de chicorée, et plus encore par leur présence familière  bleu pâle au bord des chemins. Plants aux longues tiges vert sombre, coriaces et ligneuses, sans feuilles ( sauf à la naissance du plan, au ras du sol),  les fleurs bleu pâle étalent de petites langues arrangées en corole seulement aux heures ensoleillées, puis se referment. Ces jolies fleurs accueillent des petits escargots blancs à profusion:
Les fleurs des bords de route, Jupes bleues et colliers blancs dansent-elles  au bal   champêtre ?
[…]
16h23 : retour sur site en voiture pour une récolte photographique  histoire d’illustrer mes propos.    Plus de fleurs ! La parure demeure mais la robe de bal est pliée.  Ecloses avec les premiers rayons de soleil, elles sont déjà refermées.  Transfiguration du paysage.  J’aurais dû m’arrêter ce matin  quand l’idée m’a traversé l’esprit, mais le cycliste est une espèce qui ne déroge pas à certaines règles comme ne pas mettre pied à terre dans une montée.  De plus, j’avais pour compagnon de route un cycliste rencontré aux hasards de l’aventure à qui je n’allais pas dévoiler mes rêvasseries et laisser paraître si tôt mon côté « fleur bleue » !


une chicorée couche tard, pour me consoler ...

jeudi 15 août 2013

l'art de philosopher

Le temps d'une pause  (ou d'une traversée) dans un très agréable jardin de la ville, en l'occurrence le parc du magnifique pavillon Vendôme, j'ai eu la surprise de tomber sur une drôle de mise en scène... un peu familière quoi qu'inattendue !


Un artiste qui connaît certainement son La Fontaine par coeur, invite le promeneur à prendre place et à dialoguer avec la grenouille moraliste philosophe.
- Qu'as tu fais de ma planète ? demande la pécore ....  
-Ta planète, ta planète, justement,  si tu songeais d'abord qu'elle ne t'appartient pas ! 
-Eh bien,  je suis là pour t'inviter au partage  et te proposer de participer à une oeuvre d'art collective.  Assieds-toi un instant ...
-Une grenouille utopiste, hum ....  Aujourd'hui les affaires du monde vont  mal.  Le sang coule en Egypte, le thermomètre affirme un dérèglement climatique et tu me dis que la création artistique peut changer çà ? 
- Créer c'est agir, ce qui nous concerne tous ...
-Avec des nuances, quand même !  Ces graves questions mises à part,  c'est bien de dire aux gens que l'art n'est pas un "objet de consommation", que c'est un échange, un dialogue qui donne du sens et peut changer (un peu) le monde  l'homme...


L'oeuvre a été imaginée par Gilles de Kerversau.

mardi 13 août 2013

citation d'une lettre de René Char à Albert Camus (1953)

« Je me pose tant de fois cette question à moi-même, pourquoi sommes-nous si peu, si brièvement avec ceux qui nous procurent bien-être et détente, repos de l’âme et plaisir de l’esprit ? Fine et pernicieuse contradiction, écume de malédiction plus grave peut-être. Il faudra nous rejoindre plus longuement à la rentrée. Cher Albert. Luttons pour vaincre ce sort que nous ne voulons pas. » -

René Char à Albert Camus, lettre du 12 juillet 1953


jeudi 8 août 2013

Paysages du Cameroun, photos et commentaires par Florence V.


Il y a trois ans,  de tristes circonstances m’ont donné l’occasion de retrouver une amie  d’enfance perdue de vue pendant des années, Florence V.  Nous avions beaucoup de souvenirs à évoquer et encore plus à découvrir sur la manière dont nos vies  ont tracé leur chemin.  Nous nous retrouvions  sur des points communs comme  l’enseignement, toutefois, elle exerçait (et le fait toujours)  depuis de nombreuses années à l’étranger ( New-York, le Caire, Yaoundé ...), ce que les circonstances ne m’ont jamais permis de faire malgré un désir de partir souvent ressenti qui s’atténue avec les années qui passent et les autres projets qui prennent de l’ampleur.   Pendant quelques années, elle a donc exercé  à Yaoundé, capitale du Cameroun et  m’a montré des photos que j’ai eu envie de partager.  Nous nous sommes mises d’accord pour ne pas diffuser les portraits en gros plan (pourtant forts beaux), parce que lorsque elle avait photographié ces  personnes  il n’avait pas été question d’une diffusion éventuelle, ce qui  a posteriori  pose un problème de conscience ( je me suis fait la réflexion que c'est une question qui ne se pose pas avec le dessin qui est une mise à distance en soi).  Je laisse aussi souvent possible  la parole à mon amie F. pour le commentaire des photos. C’est ainsi que je les ai découvertes et que j’ai eu envie de les montrer. Les envois de mails et de courriers ont été fractionnés, au gré des possibilités de connexion internet.  Je me suis seulement permis de les organiser en une sorte de voyage qui, se dirigeant tout d'abord cap sud-ouest vers l'océan, remonterait ensuite vers le nord et l'extrême nord du pays, vers les frontières du Tchad et du Nigeria. 

Quand nous avons un week-end de plus de deux jours, nous descendons au bord de l'océan (quatre à cinq heures d'une route dangereuse qui relie Yaoundé à Douala, empruntée par les grumiers, ces camions qui transportent des troncs d'arbres absolument énormes). Mais une fois au bord de l'eau, c'est la récompense. Ca me fait un bien fou à chaque fois ! 

La plage est magnifique et infinie, déserte à part quelques pêcheurs, plein de petits crabes qui rejoignent leur trou quand on approche et les perroquets gris du Gabon à la queue rouge qui s'envolent. Je marche, marche, marche. Les pirogues rentrent de la pêche vers 9h, j'aime bien aller voir ce qu'elles rapportent. De moins en moins de poisson, hélas, dans cette région comme dans beaucoup d'autres. C'est quand même assez paradisiaque, on mange les noix de coco et selon les jours, crevettes, crabes ou poisson. Je me repose, je regarde la mer, je reste des heures dans l'eau car elle est vraiment chaude -l'autre jour elle avait exactement la couleur du ciel, un gris métallique et brillant très beau-, je bouquine, je m'endors avec le bruit des vagues.

Il y a des moustiques et le palud sévit fortement dans la zone. Mais surtout, ce paradis ne va pas durer car les Chinois construisent un port géant en eaux profondes à quelques pas de là, un chantier gigantesque qui va modifier toute cette côte.


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A l’occasion d’un autre voyage dans le Nord Cameroun et l’Extrême Nord, au mois de février 2013, F. m’envoie d’autres photos qu’elle commente.  Les photos prises sur le marché le sont à Maroua, capitale de l’Extrême Nord.

On devine le commencement de la plaine qui s'étend jusqu'au Lac Tchad. Les couleurs étaient magnifiques et de cette hauteur on entendait les bergers se parler en faisant avancer leurs troupeaux de zébus.

Ces arbustes à fleurs roses sont surnommés des pieds d'éléphants à cause de l'aspect de leur tronc, taches de couleur assez rares dans ce paysage plutôt monochrome de saison sèche.



C'était la période de la récolte du coton ; la région surtout nord, plus qu'extrême nord, en produit beaucoup. A chaque coin de champ, on avait envie de se jeter dans les énormes tas blancs.


 
La céréale cultivée principalement là-haut est le mil. Ce sont les femmes qui le vannent, inlassablement, les mêmes gestes répétés des centaines de fois.


Progressant vers l'extrême nord, F. arrive dans l'une des cinq principales villes du Cameroun, Maroua,  qui compte au moins 400 000 habitants.  Le climat y est sec et chaud, presque semi-désertique. Attirant toutes les populations environnante, la ville multiculturelle s'anime autour d'un grand marché où l'on  rencontre aussi bien des marchands de bestiaux que de la confection artisanale ou  des denrées comestibles.


Personnellement, je n'aime pas trop vivre au milieu  de la forêt équatoriale, je me sens mieux dans ces régions plus sèches et poussiéreuses, je crois que ça me rappelait l'Egypte, les murs en terre, l'appel du muezzin...

Tu peux t'en douter, de nombreuses photos ont été prises sur des marchés, j'adore ces lieux tellement vivants où se concentre tout ce qui fait la vie des gens, leur quotidien, leur réalité unique. C'est toujours l'occasion de mille rencontres, surprises et émerveillements.  Sur le marché au bétail, les négociations sont réservées aux hommes. Les gens sont souvent très beaux, plus fins et élancés que dans le Centre, leurs origines sont mélangées mais il y a de nombreux Peuls.





Les femmes d'un certain âge portent des calebasses peintes sur la tête. 
Les calebasses sont omniprésentes. Les couleurs des pagnes extrêmement chatoyantes.

Les gros pots qu'on appelle des canaris servent de garde-manger pour le grain ou autre, par exemple pour la bière de mil dont les gens raffolent, hommes et femmes, et dont ils font une consommation incroyable.
















Ici, c'est la pleine saison des mangues. On en achète des seaux, pour un euro on en a une quinzaine. Pas très grosses, vertes à l’extérieur et orange dedans, elles sont très parfumées. Des vendeuses de beignets que l’on trouve par dizaines sur tous les marchés. Des femmes vendent du poisson fumé ou séché pêché dans les lacs et cours d’eau de la région, c’est une des principales nourritures, il s’en consomme des tonnes. Dans les calebasses les femmes transportent et vendent du fromage frais.  La "boutique" de celui qui vend et nettoie les coiffes pour homme, j'aime beaucoup les supports en bois sur lesquels il les présente ou les fait sécher.  Je t’envoie une autre série de photos des devantures des salons de coiffure incroyablement  pittoresques ici !





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Le bout du bout du périple. J'atteins ici Le Logone, rivière qui sert de frontière entre le Cameroun et le Tchad. De l'autre côté, à quelques kilomètres vers le nord, c'est Ndjamena. Il y a eu des crues meurtrières à l'automne dernier.  Toute cette zone était sous l'eau, des villages ont été détruits, ils ont perdu leurs récoltes, des centaines de personnes sont encore sous des tentes installées par des organismes d'aide  internationale.

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Toujours dans l'extrême nord, pas très loin, mais plus à  l'ouest, ce village dans une région montagneuse.  Il est à la frontière avec le Nigeria. J'y ai fait une randonnée que j'ai dû interrompre car la situation empirait en ce mois de février.  A chaque regroupement de cases, il faut s'adresser au chef  du village et donner en cadeau  un peu de sel, de savon ou des allumettes.  Je m'arrête pour ce soir, j'espère que tu t'y retrouveras dans les commentaires. 
Florence V.
 Je voudrais profiter de cette chronique pour donner un lien vers site qui publie une quinzaine de poètes africains: