jeudi 27 avril 2017

Nouvel album de Mark Lanegan, "Gargoyle" ... mes impressions à propos de "Nocturne" et "Beehive"



Le dixième album de Mark Lanegan, Gargoyle sort chez  Heavenly Recordings (Londres).  En avant-première on peut écouter deux titres, "Nocturne" (piste 2) et "Beehive" (piste 4) sur les dix que compte l’album. Enthousiasmants !   Autre actualité,  début juillet, la parution d’un livre écrit par Mark Lanegan,  I Am the Wolf, Lyrics & writings (Da Capo Press). Seule la liste des concerts annoncés  me tire des soupirs de déception ... rien à proximité, pour le moment.  En attendant (impatiemment) de recevoir l’album précommandé chez Heavenly Recordings, je fais cette tentative, à ma petite mesure, d’écrire ici mes premières impressions ... c'est un risque que je prends...




Grille en fer forgé noire sur carré blanc et calligraphie rouge sang, c’est la pochette de l’album. Il y a dans cette apparence  épurée une force visible (la grille)  et une tension (les rapports  colorés, noir-rouge/blanc) qui ouvrent  sur un champ de possibles, informulés (la vacuité de l’espace blanc), fertiles pour l’imagination, une transcendance.  Minimalisme contemporain relatif cependant, car le nom Gargoyle (gargouille) et la calligraphie assument l’héritage gothique des troubadours, des chevaliers en quête d’aventures des chansons de geste (j’y reviendrai).  En attestent les épées dressées, autant d'aiguilles ou de flèches, qui composent la grille en fer forgé au bas de la pochette qu’il faut prendre en considération, puisque la première de couverture de I Am the Wolf, écrit par Mark Lanegan,  confirme ces choix chromatiques (noir-rouge/blanc) et les symboles de la croix et de l’épée.  Cette image réussit à concilier un espace fermé et un espace ouvert, à jouer de l’ombre et de la clarté, à l’image de la musique du Mark Lanegan Band ciselée comme des bijoux dans le roc(k) le plus noir.


La poésie  des  morceaux "Nocturne" et "Beehive", croise  des images  aperçues dans des flashs lumineux, visions quasi fantastiques propices à une rêverie contemplative avec des émotions qui jaillissent comme  l’eau glace le dos - "a spot of chrome along my spine"-  et le sang chauffe la tête - "in my head buzzes a bee’s nest".  Obsession de la couleur rouge - "Red lights" ("Nocturne")   et du sang - "blood stained indecision" ("Nocturne"), "Blood rushing up from a fountain" ("Beehive"),  c’est aussi la couleur des trois mots  "Mark Lanegan Band", comme trois gouttes de sang sur le blanc de la pochette de l’album, comme les trois gouttes de sang sur la neige, qui  fascinent le chevalier Perceval (un des chevaliers de la Table Ronde, dans la légende du Roi Arthur).  Dernièrement,  la vidéo officielle de "Beehive" (dirigée par Zhang + Knight) confirme pour moi cette impression première, du jeu visuellement fascinant  du rouge sur le blanc, jusqu’à l’obsession (portée par la rythmique de la musique). Dans le conte de la légende arthurienne, Perceval est  absorbé par les trois gouttes de sang sur la blancheur de la neige  au point qu’il "passa tout le petit matin à rêver sur ces gouttes de sang, jusqu’au moment où sor­tirent des tentes des écuyers qui, en le voyant ainsi perdu dans sa rêve­rie, crurent qu’il sommeillait". Magnifique épopée et merveilleux texte du Conte du Graal écrit par Chrétien de Troyes au XIIème siècle (traduction de J Ribard pour les éditions Honoré Champion) dont le souvenir s’est imposé parce que le sang est récurrent dans maintes chansons de Mark Lanegan et parce que l'album, par son titre, Gargoyle fait référence au Moyen-Âge. Pour Perceval,  "le sang uni à la neige lui rap­pelle le teint frais du visage de son amie, et, tout à cette pen­sée, il s’en oublie lui-même"... D'une autre manière,  Lanegan écrit , "Honey just gets me stoned"... "Honey" pouvant aussi bien s'entendre comme une manière tendre de nommer la femme aimée, ou comme une métaphore de la  drogue, de l'alcool etc... partageant un même pouvoir de fascination et de capacité à "faire s'oublier" celui qui s'y abandonne.


"Nocturne" (piste 2),  le morceau démarre sur une cadence  urgente,  tenue du début à la fin, superposition d’instruments électroniques, de percussions, de basses et de guitares qui claquent.  Ultra grave sur le premier couplet, la voix de Mark Lanegan égraine les mots qui peignent le tableau  sombre de cette scène nocturne (à l’opposé du blanc de la pochette) rompue par des  lumières qui n’ont rien de solaire, lumières rouges, visions aux rayons X et lumières noires, qui  projettent des images figées, composées comme des natures mortes, roses dans un vase, lettres, miroirs, ancre, chaîne et crucifix. Dans une tonalité un peu plus haute, introduisant  une polyphonie, la voix du refrain lance un chant plaintif, "Do you miss me, miss me darling ? / God knows, I miss you"... avant d’évoquer des scènes tragiques, alternativement, collisions de trains, de voitures ... ou de fin du monde. Dans les ténèbres du milieu de la nuit, on ne sait ce qui altère la perception de la réalité, la drogue, le mal-être, les rêves ? ... les visions  fantastiques s’animent d’un bestiaire rampant, serpents,  araignées, qui diffusent leur venin.  La nuit renvoie l’homme à une solitude nostalgique, à moins que ce ne soit la solitude qui le plonge dans une noirceur parcourue de visions  lancinantes et morbides ?

 Et cela résonne, pour moi, comme certains vers que le poète Guillaume Apollinaire écrits à son amante Lou,  depuis le front, pendant  la guerre de 14-18, quand incertain de son avenir, pris dans le feu des tirs d’obus, il pense à elle.  Mais, Lou se souviendra-t-elle aussi de lui, après la vision du  "fatal giclement de [son] sang sur le monde" ? ("Do you miss me, mis me, Darling? / Do you know  I'm missing you" - "Nocturne" - Mark Lanegan)

 " L a nuit descend
   O n y pressent
   U n long un long destin de sang "

" Si je mourais là-bas", Poèmes à Lou, Apollinaire, 1915
Et dans  "Nocturne " :
"Red Lights, X-ray vision
A lonely drug is in my veins
Blood stained indecision
Holiness is burned away
Midnight, midnight calling
Color me insane"

Rapprochement très personnel en fonction de mes goûts (et de la limite de ce que je connais) ... Si Apollinaire est tout à la fois  un poète de l’ombre, il est aussi celui de la lumière solaire, Mark Lanegan demeure plus grave et plus ténébreux, à cela près que le tempo rock de "Nocturne"  fait entrer la lumière par flashs où la  tension électrique déchire la noirceur des mots.   
 "Beehive", Mark Lanegan Band, Gargoyle (04/28/2017)
"Beehive" (piste 4) s’ouvre sur le vrombissement d’un essaim d’abeilles, référent bucolique suggéré par le titre (la ruche), mais bourdonnement semblable,  encore, au grésillement que l’on entend quand on se tient sous une ligne électrique à haute tension !  La cadence nerveuse des instruments, courant sur la ligne de crête d’un bout à l’autre du morceau, ne laisse en effet pas de répit. La nuit ( voir "Nocturne") cède le pas à la pénombre d’un coucher de soleil traversé d’étincelles, dans "Beehive".   Le monde extérieur est vu depuis l’encadrement une fenêtre, "suddenly alone in a beehive" [...] "I drag my chair to the window" [...] "Press my body against the window". Paysages de montagnes, d’eau bleue, fraîche apportent ici un apaisement relatif, comme la présence sucrée du miel dans la lumière mourante d’une fin de journée d’été.  "Beehive" semble être un texte plus lumineux, manifestant un certain apaisement par rapport à celui de "Nocturne".

Voilà pour le moment, l’album Gargoyle sort demain, vendredi 28 avril 2017 !

Mark Lanegan est un chanteur, auteur, compositeur américain originaire de Seattle, dans l’état de Washington, installé depuis des années à Los Angeles. Sa carrière a commencé en 1984 comme membre du groupe des Screaming Trees qu’il quitte pour une carrière solo en 1990. Cela ne l’empêche pas de collaborer à un nombre impressionnant de projets, avec  des artistes américains comme des musiciens européens (lire plus d’infos ICI). 
L’album Gargoyle a été co-écrit avec le musicien anglais Rob Marshall.  On dit que Mark Lanegan est plus connu en Europe qu’aux Etats-Unis, en tout cas, la plupart des musiciens du Mark Lanegan Band sont Anglais et Belges.  Gargoyle est produit par Alain Johannes et sur l’album sont crédités : Mark Lanegan (vocals), Alain Johannes (guitars, keyboards, bass, percussion), Rob Marshall (guitar, keyboards, drum, programming), Aldo Struyf (keyboards, percussion), Duke Garwood (guitar, horns), Martin LeNoble (bass), Frederic Lyenn Jacques (bass), Jack Irons (drums), Jean-Philippe de Gheest (drums), Greg Dully, Josh Homme, Shelley Brien (backing vocals). [lu sur la page 24 de UNCUT magazine, à paraître en May 2017].  Sans oublier le guitariste Jeff Fielder qui accompagne souvent Mark Lanegan. 
F. L.

Quelques liens pour lire et écouter  plus loin :
Le site de Mark Lanegan

Un livre en français, le seul paru, semble-t-il, consacré à Mark Lanegan, et qui vient de sortir. Je l’ai acheté et pas encore lu, mais ça ne va plus tarder ! Rien que le titre me semble cerner de bonnes  problématiques ...  Mathias Moreau, Visions de Mark Lanegan, essai biographique au regard de l’émancipation, éditions Masters at Paradise, collection Main Man, 2017

La rubrique Wikipédia

La maison de disque Heavenly Recordings / Mark Lanegan

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ces quelques mots Florence !
Dallas K.

Anonyme a dit…

Bravo pour cet article, très intéressant, c'est rare de voir de si bons articles sur Mark Lanegan ...
Merci

Flo Laude a dit…

Merci ... ça me touche.