samedi 7 juin 2014

"L'aridité, comme une soif douloureuse du paysage", Claude Esteban


L'aridité, comme une soif douloureuse du paysage. 
Il faut aimer beaucoup pour ne pas perdre courage sur la route, et des mains aguerries au tranchant des pierres, aux épines, aux insectes noirs. L’aridité commence à midi, quand le soleil redouble d’insolence et qu’il dénude sans pitié l’adorable candeur des ombres. On marche, on est heureux dès le matin, on s’embrouille sans ses désirs, on s’impatiente.  Un arbre devant soi, un autre, et ce sont mille promesses de refuge, une fraîcheur toute ronde et l’épaisseur d’un secret.  Et c’est alors que, sous le bruissement des feuilles, une seconde  s’insinue, un interstice de silence qu’on ressent à peine mais qui soudain paralyse le cœur comme s’il fallait s’attendre à quelque verdict venu d’on ne sait où.  L’aile d’un papillon tremble encore,  mais la masse de l’air s’alourdit, les couleurs flambent une dernière fois puis s’éteignent.  Tout est debout, parfaitement à sa place, tout s’étiole au-dedans.  Qui s’agrippe à ses souvenirs ne sera bientôt qu’une coquille vide, une brassée de bois mort.  Il faut souffrir beaucoup pour ne pas souffrir davantage de ce qui fut  un horizon et qui n’est plus.  Reste à poursuivre, la tête enfin délivrée de ses images, et c’est déjà beaucoup que le sol résiste et que le corps s’endurcisse et qu’il consente à nous porter plus loin.
On a le temps pour soi, maintenant que le temps se mesure à la certitude du manque.  Ce qui fait défaut est un surcroît de richesse, ce qui se dérobe, un appui.  On accusait le soleil, on l’admire d’avoir saccagé les saisons du possible, de nous avoir réduits à notre nudité.

Claude Esteban, La Mort à Distance, Collection « Blanche », 2007.

C’est ma fille C. qui m’a fait découvrir ce poème.  Et c’est un ami, M. D. qui m’a envoyé cette très belle photo que j'ai choisie, car elle me semble permettre le juste espace entre le texte et l’image. 

Claude Esteban (1935 - 2006)  est un poète proche d'Yves Bonnefoy.  Il est le fondateur de la revue Argile (1973). 
Plus d'informations sur la biographie du poète  ici (wikipédia) et (JM Maulpoix, et entretien)

1 commentaire:

pierre vallauri a dit…

merci à ta fille . merci à toi et ton ami qui prennent le relais en image et sur la toile.