dimanche 9 mars 2014

un blanc léger au bord du chemin



Ce n'est pas le titre du texte dont je voudrais recopier un extrait ici, pour dire la surprise renouvelée  d'année en année quand les amandiers fleurissent.  En roulant en vélo, ce matin (il faisait un temps absolument printanier), j'étais moins étonnée de les voir en fleur au bord du chemin qu'il y a quelques semaines quand la balade dominicale m'avait emmenée sur les rives de l'étang de Berre, du côté de Saint Chamas.  Si tôt au mois de février, je les pensais  fous de donner déjà leur floraison quand les frimas étaient encore à redouter.  Ce matin, l'air était si joyeusement vibrant sous le soleil  que je n'avais plus aucune crainte, l'euphorie de l'effort se conjuguant à la merveille du temps et des lieux ( la face sud de Sainte Victoire et la plaine de Trets) ne pouvaient nuancer le plaisir de découvrir de place en place des amandiers fleuris.  


"     Une nébuleuse ?  Une nuée d'étoiles dans les branches, au fond des champs?
      Mais c'est chercher trop loin de nos chemins.

     Cela Surgit un jour, inattendu, quand nous passons, à côté de nous, c'est là pour peu de temps et cependant nous ouvrons les yeux là-dessus ( comme ces fleurs se sont ouvertes), et nous aussi, nous sommes là pour peu de temps.  Nous considérons une chose vivante elle aussi, une vie, mais différente de la nôtre parce qu'elle se déroule selon un cycle annuel - fleurs, feuilles, fruits, branches nues-, créant ainsi l'illusion d'une permanence, alors qu'il s'agit d'un mouvement en spirale par rapport au nôtre, qui serait en ligne droite.
     Une rencontre. Encore semble-t-il que cette autre vie ne nous voit pas: non seulement passagère, mais aveugle; et nous, pourquoi respirons-nous ces choses de tous nos yeux?

      (Pourquoi les fleurs des vergers sont-elles toutes blanches ou roses, jamais, par exemple, jaunes ou bleues?
      Ce qu'il y a, comme couleur, de plus proche du rien d'où elles semblent naître et de l'air qui les porte; la couleur la moins marquée par l'ombre, la plus légère, et comme la plus vite effacée, ou tachée.)

      Une chose dont on ne peut rien faire (que la voir), à peine la respirer, qu'on ne peut manger. Fraîche. Où il n'y a pas de sang.

     Nullement exsangue toutefois comme le spectre, ou l'homme évanoui, livide.  On dirait plutôt que là, le sang n'est pas encore venu ou ne s'est pas encore montré, qu'il va venir.  C'est quelque chose qui paraît d'abord et qui paraît avant, qui se risque au sortir de l'hiver ( une neige chassant la neige?), qui s'aventure alors que l'herbe même ni aucune feuille ne l'a osé, qui commence, qui inaugure ( sans solennité, sans prétention, sans bruit); comme quand sort d'une bouche le premier mot d'un tendre entretien. (Combien de fois encore l'entendrons-nous? Pas si nombreuses. Et chaque fois, j'en ai peur, de plus loin.)  "

Texte de Philippe Jaccottet, A travers un verger, 1974, Fata Morgana, p. 13 à 15


Il faut noter que les oeuvres complètes de Philippe Jaccottet viennent de paraître en Pléiade

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