jeudi 19 juillet 2012

Sophie de Garam, visite d'atelier


Pierre Vallauri et Sophie de Garam
Pour préparer l'exposition de dessins Traits...intimes qui se tiendra au musée Arteum de Châteauneuf-le-Rouge, à l'automne prochain, Pierre Vallauri et moi avons rendu visite à Sophie de Garam, dans son atelier d'Ensuès-la-Redonne. Sophie, qui a une formation d'architecte, se consacre à la peinture, au dessin et à la gravure qu'elle pratique dans son atelier installé dans ce qui fut le restaurant "Le Panorama" de la calanque d'Ensuès-la-Redonne, aux abords de Marseille. Les grandes baies face à  la mer, sonnent  l'appel du large, les grands départs et signent le tempérament des  êtres que l'on sent appelés par les voyages, l'ailleurs et l'aventure qu'elle partage avec son mari, Peter. Le choix de se placer devant un motif contrasté de roches et d'eau  rappellent la double entité du fini et de l'infini, de  l'architecture et du mouvement que l'on retrouve dans ses oeuvres.  Ainsi, dans la pièce à vivre qui nous accueille au rez-de-chaussée, une toile de grand format carré, un travail ancien aux pigments et à la cire, dans une dominante de bleus, des formes abstraites,  en aplats plutôt géométriques, comme un écho au paysage si proche: l'air, l'eau, la terre. 
  Pendant les quelques heures passées avec Sophie de Garam, nous avons évoqué sa vie d'artiste à Port-Vila, capitale des îles Vanuatu, ses travaux de gravure récents et le projet de dessin qu'elle présentera au musée Arteum, qu'elle envisage de réaliser avec deux poètes, Christine Bonduelle et Christopher Carsten, avec lesquels elle a déjà travaillé.
 Depuis les années 2000, avec sa famille, elle a pris l'habitude de passer une grande partie de l'année dans les îles volcaniques du Vanuatu de l'océan Pacifique, au nord-est de la Nouvelle-Calédonie. 
A Aix, elle expose régulièrement (une exposition est d'ailleurs programmée pour le mois de septembre) dans la Galerie Franck Marcelin, place des Trois Ormeaux,  spécialisée dans l'Art Océanien.  Ni usurpation, ni appropriation, il me semblera, au fil de la rencontre, que la voyageuse se met du moins en mouvement vers elle-même et qu'elle fait escale où elle  se sent chez elle, sinon dans un ailleurs parfois si lointain, qu'il lui permet de trouver en elle, enfin,  ce qui lui est si proche, son intériorité.
Dans les îles Vanuatu, Sophie de Garam et son mari habitent à Port-Vila, la capitale, sur l'île Efaté, une maison avec le confort moderne, eau et électricité, ce qui n'est pas le cas dans toutes les îles. Sa maison et son atelier sont construits sur l'eau, elle a à plusieurs reprises, parce qu'elle a été sollicitée, songé à ouvrir une petite galerie derrière son atelier, pour qu'il soit un coin d'échange et de contact avec la population, avec les étrangers, mais aussi avec les artistes locaux qui se sont réunis en association et lui ont fait l'honneur de l'accueillir.  Mais en définitive, elle vit très isolée.  Solitaire, elle peint et monte à cheval.  Elle fait souvent référence à l'ennui qui guette les habitants des îles, aussi bien les natifs que les étrangers venus s'y installer. Et la question qui me vient, pourquoi faire le choix de vivre là-bas s'il y a tant d'ennui?  Parce que pour créer, il faut de la solitude et de l'ennui et que coupée de tous ces points de repère, arrachée à ta famille, à tes amis, à ce que tu as connu, tu es fragilisée et donc plus alerte, plus attentive et que cela crée un état émotionnel propice à la création.  Elle ajoute que lorsqu'on dessine depuis longtemps, que le trait devient trop sûr, trop malin, c'est une catastrophe, que cette mise en danger, en insécurité émotionnelle, est ce qu'elle ne craint pas de provoquer, comme pour mettre toujours en péril, la satisfaction de croire que l'on pourrait dominer son sujet au lieu d'être à l'affût.
Sophie de Garam a passé l'hiver au Vanuatu, l'atelier d'Ensuès est resté en sommeil.  Ouvrir les tiroirs, chercher des gravures et les dessins qu'elle souhaite nous montrer la met en joie.  La profondeur des tiroirs semble propice à remettre la main sur des oeuvres d'époques diverses, elle parle de  l'émotion de retrouver ce qu'elle  a pu faire il y a quelque temps, auquel elle  est attachée parce qu'elle aime bien un travail.  Nous regarderons  une série de gravures très  architecturées, pour lesquelles des boîtes métalliques écrasées ont été requises. Les multiples passages à la presse ont fait apparaître des architectures, des lignes droites, cassées,  géométriques, délimitant des zones avec intérieurs et  extérieurs, des cloisons, des superpositions, sur lesquelles l'artiste est revenue avec des lignes courbes qui s'étirent comme un fil que l'on aurait indéfiniment  dévidé, boucles souples, aériennes, légères ou ramassées en pelotes;  métamorphoses évoquant tantôt des formes animales, tantôt des voiles gonflées ou  des mobiles.  C'est un travail qui parle encore à Sophie de Garam, un travail dans lequel elle se sent bien et qu'elle pourrait reprendre et prolonger parce qu'elle y voit encore des espaces à explorer,  à l'instar de la ligne dont on ne sait quand elle commence et où elle finit.
Les voyages sont aussi le moyen de se procurer les matériaux avec lesquels elle aime travailler, les papiers et les pigments pour les couleurs.  Quand elle était au Japon,  elle a fait des kilomètres à pied ou à scooter, avec son mari qui la suit dans ses quêtes.  Ils sont arrivés dans endroits du bout du monde pour acheter des papiers faits à la main. C'est une partie de ces feuilles qu'elle vient de maroufler sur toile, avec succès, pour y faire les dessins qu'elle présentera pour Traits...intimes. En Birmanie aussi, elle a trouvé des papiers extraordinaires.  A Bali, c'était du bleu indigo.  Au Pérou, elle cherchait du rouge de cochenille,  qu'elle savait provenir de la région, obtenu à partir d'une espèce de  chenilles vivant sur un cactus de la variété Opuntia,  mais nulle part on ne savait la renseigner, jusqu'à ce que, visitant un musée, elle trouve des restauratrices occupées à réparer une oeuvre, qui lui ont indiqué que c'est sur le marché de l'or qu'on le vend ... à prix d'or, conditionné dans de petits sachets.  
   
Paroles à méditer quand on regarde son travail, le papier, les couleurs ont une histoire qui ne peut qu'influencer l'artiste dont le geste créatif  est d'abord un voyage au plus près des gens et de la nature des cinq continents.  Je me demande, quand, dans la solitude de l'atelier, après que la sonnette de la porte a été débranchée et le téléphone coupé pour ne pas être interrompue durant une  pleine journée de travail, ce que deviennent les vagues de l'océan qui l'ont portée ici, les couleurs, les odeurs, les langues associées aux matériaux.  Ce n'est pas un hasard si la conversation nous a conduits à parler de poésie, à évoquer les Correspondances baudelairiennes.
  "Comme de longs échos qui de loin se confondent / Dans une ténébreuse et profonde unité, / Vaste comme la nuit et comme la clarté, / Les parfums, les couleurs et les sons se répondent". A parler de Rimbaud, le poète voyant qui cessa d'écrire à vingt ans et partit à Java et au Harar, ville de l'est de l'Ethiopie. Sophie de Garam crée son oeuvre, dans le prolongement du voyage et de la quête des matériaux, des dessins, des peintures et des gravures abstraites. Elle dessine rarement le voyage, les paysages, les gens et ce que l'on appelle communément  la couleur locale.
 

 
Elle nous dit que travailler, peindre et graver pendant six à sept heures, la fait atteindre un état de concentration et de lâcher prise  comparables  à une transe ou à la méditation, au point de lui donner le sentiment que dans le lâcher prise où l'oeuvre émerge, le dessin passe par elle, dépassant une certaine rigidité de l'être, oubliant le sens pour se laisser porter par les formes, les couleurs, car alors elle fait l'expérience qu'un tableau en vient à suggérer des odeurs, des bruissements, du mouvement.   Elle se définit comme peintre, aime dans la gravure,  le travail des encres et des couleurs, des recherches formelles, mais aussi  des expérimentations plastiques, des jeux avec les matières et les textures qu'elle tient du peintre.  Elle remarque d'ailleurs  ne pas avoir la rigueur des graveurs en ce qui concerne la numérotation des tirages et des épreuves d'artiste.
Pour le dessin,  le parallèle est fait entre dessiner un modèle vivant en privilégiant les poses courtes de deux ou trois minutes qui demandent concentration et rapidité d'exécution et tout autre dessin.  Il faut renoncer à bien faire, à s'appliquer pour devenir un véhicule de la sensation qui transmet le geste, épure l'objet, et devient presque de la calligraphie. 
Dessins de nus, au pinceau et à la peinture, à gauche, à droite, planche de figures coquées sur le vif et  gravées.  Pour Sophie de Garam, le dessin et la gravure, sont pratiqués dans une certaine proximité.
Le coin de l'atelier dévolu à certains travaux de dessin et à l'encrage des plaques.
La presse.
Deux gravures sur bois, réalisées pour illustrer une traduction en anglais des Fables de la Fontaine, par Christopher Carsten.  Sophie de Garam souhaite s'associer avec ce poète américain, pour la réalisation des dessins qu'elle présentera à Châteauneuf-le Rouge.  Pour l'exposition de dessin, Traits...intimes, proposée par Pierre Vallauri, commissaire de l'exposition,  elle   travaillera, durant le mois d'août, avec son amie Christine Bonduelle, rencontrée en Australie.  Leur collaboration a engendré plusieurs publications, Bouche entre deux, poèmes de Christine Bonduelle avec des dessins de Sophie de Garam, publié chez Obsidiane en 2003.  Deux ou trois  opus poétiques aux tirages limités,  comme celui-ci, à partir de dessins  du  chien de Christine, croqués par Sophie, dont je montre ci-dessous une double page et la  strophe n° 7 : "derrière se les traîne pilon / tronc aérodynamique / de vol manquer à couille coussiner / devant pattons paralyse / s'abîme l'oeil en plis au frais tellurique / descente de lit par méprise"
En 2011, elle publiait le recueil Ménage, toujours aux éditions Obsidiane, commenté par Jean-Pascal Dubost: "poèmes qui jouent de leur disposition, courts à vers brefs, ciselés et suspendus, semi-télégraphiques, à syntaxe elliptique".  Associer avec une franche liberté, rapprocher  textes et dessins, sans chercher à illustrer, voilà le projet que Sophie de Garam propose aux deux poètes.  Chacun s'appropriera le thème, "traits...intime", créera pour l'autre, "en connaissance de cause", c'est-à-dire, en ayant en tête la personnalité et le travail de son partenaire artistique, mais sans interférer directement sur sa création.  Quoi de plus naturel, en un sens, pour préserver la logique de ce que l'on appelle "intimité",  et qui pose la question de la collaboration des artistes: comment être soi, comment atteindre au "traits...intime" ou "très...intime",  quand on fait oeuvre commune ?   
On peut obtenir plus de renseignements sur le parcours et l'oeuvre de Sophie de Garam en se rendant sur son site:http://www.sophiedegaram.com/who-am-i_fr.htm

Deux petits films sont également visibles sur youtube.  L'un présente une riche collection de dessins et de croquis réalisés au Vanuatu, entre 2000 et 2004
http://www.youtube.com/watch?v=spFdhWJ00ao&feature=relmfu  , l'autre la montre dans son atelier en 2008: http://www.youtube.com/watch?v=WiKqptERFRw


Outre la galerie Franck Marcelin,  elle a exposé dans la Galerie du Lézard de Corinne Theret.

1 commentaire:

pierre vallauri a dit…

Approche très réussie et complète.Je ne doute pas que les autres rencontres soient aussi lumineuses et intimes à la fois. L'exposition et le catalogue qui suivent me semble prometteur de ce fait. Mais nous avons "du pain sur la planche" (ou de l'encre sous la presse) à la rentrée.