dimanche 18 décembre 2011

entretien avec A. Clif , la vie inscrit le temps

Jusqu'au 31 décembre, A. Clif expose dans le cloître des Oblats, en haut du Cours Mirabeau, à Aix-en-Provence, des travaux sur la terre et une série de neuf panneaux sur la maternité. Rencontre singulière, à première vue, entre les grandes huiles sur toile, minérales, explorant le processus de formation des failles, des plis géologiques de la croûte terrestre et l'enveloppe charnelle d'une jeune femme qui s'arrondit autour de la vie qui prend corps et forme en elle.
f.l. -Pourquoi avoir associé les travaux sur le minéral à ces neufs panneaux sur le corps transformé par la maternité ?
A.Clif - En septembre dernier, Dominique Dessolin, aumônier des artistes, dépendant de l'église des Oblats d'Aix, est venu visiter mon atelier. Je venais de terminer mon travail sur la maternité. Il connaissait, pour les avoir vus dans ma dernière exposition à Trets, mes toiles sur Terra Mater, notre mère la terre. C'est de lui que vient l'idée d'exposer conjointement une série de tableaux sur la terre, sa construction géologique et un ensemble de neufs panneaux présentant l'évolution d'un corps féminin durant les mois de gestation. Ce travail sur la maternité est à voir non seulement en tant que nativité, mais aussi en tant que construction de l'homme, construction de notre intériorité. Chacun de nous doit pouvoir se projeter dans ce processus représentant en quelque sorte l'émergence de notre intériorité, sa maturation et enfin l'expression que nous lui donnons par la place que nous occupons dans la société. A l'entrée de l'exposition, Dominique Dessolin a écrit " A. Clif nous propose une contemplation avec pour support la thématique de la peau. La peau comme le lieu de l'émotion, mais aussi le lieu de la frontière entre le visible et le tangible". C'est lui qui a fait le lien entre la terre, écorce, croûte terrestre et la peau qui recouvre le corps.
f.l. - Peux -tu expliquer comment tu as procédé pour créer ces neufs panneaux sur la maternité?
A.Clif - Une jeune femme que je connaissais a accepté de poser. Chaque mois de sa grossesse nous nous retrouvions pour une séance de dessins. J'inscrivais ainsi sur le papier, la trace, la mémoire de cette métamorphose du corps mois après mois, étape après étape. Le visible d'un processus invisible mais néanmoins réel d'une vie qui se formait à l'intérieur d'elle. J'avais, au début de nos rencontre, pris des photos de sa peau, des gros plans de son épiderme, une palette d'échantillons de peau que j'ai imprimés sur du papier rhodoïd. J'ai ensuite découpé et collé ces morceaux de peau comme des morceaux de puzzle pour habiller mes dessins réalisés sur papier calque d' une enveloppe charnelle. A l'issue des neufs mois, j'ai fait encapsuler mes dessins. Ils sont ainsi préservés et présentables.
f.l.- Les matériaux employés pour ce travail sont singuliers, tous concourent à créer des images translucides, comme si tu enlevais à la peau son opacité pour donner à voir au delà de l'apparence ?
A. Clif. - Oui, j'ai écrit, pour présenter mon travail, " faire parler le support translucide laissant passer la lumière, pour traduire le rapport entre le corps et l'esprit impalpable. Le support contient et révèle le corps qui évolue à chaque étape de cette maternité".
f.l. - Qu'est-ce qui est à l'origine de ce travail sur le corps ?
A.Clif.- J'ai participé avec l'association Perspectives, il y a quatre ou cinq ans , à l'exposition A Fleur de Corps. A cette occasion, j'avais expérimenté un travail sur le corps à partir de photographies, ce travail a été remarqué ce qui m'a poussée à continuer une réflexion sur le corps, sur la peau mais aussi à détourner des photographies comme je l'avais fait à cette occasion. Donc, c'est ce travail précédent qui trouve un prolongement naturel, ici. En général, je trouve que le travail autour de contraintes proposées par des sujets de recherches comme le fait l'association Perspectives et les expositions, sont un moteur important dans l'évolution de mon travail, dans les directions que cela m'amène à explorer et à avoir envie de creuser. L'exposition est une révélation de mon parcours, à la fois la trace qui vient du passé et qui m'indique les directions à prendre pour le futur...
f.l.- Ce que tu montres ici, je veux dire les neufs panneaux, peuvent-ils aussi se regarder comme une métaphore de la création ...?
A.Clif.- Ce que je trouve important, c'est de lier la technique au message que je veux transmettre. Lorsque je peins la terre, je ne réalise pas un paysage. Ce qui m'intéresse, c'est le processus de création. Je travaille à partir d'huiles, de pigments, de poudres en suspension sur l'eau dans lesquels je plonge mes supports, papiers ou toiles. Je travaille sur la trace, sur la limite. Strate par strate mon travail s'élabore, c'est presque comme un rituel, une sédimentation. A la fin du processus, je laisse une place au blanc qui fait entrer une horizontalité dans mes constructions, les laissant voir parfois aussi comme des paysages, d'ailleurs bien davantage des paysages intérieurs que des paysages naturels observés ou "imités" !
f.l.- Quelles sont les directions que tu envisages à présent pour ton travail ?
A. Clif. - Une exposition c'est l'aboutissement de quelque chose et c'est aussi le déclic pour savoir où l'on veut aller ensuite. Les étapes qui m'ont motivée dans mon parcours, c'est d'abord mon père peintre, puis sans doute la rencontre avec André Gence qui m'a permis de faire un lien entre ma peinture et mon intériorité. Plus récemment, c'est Bernadette Clot-Goudard, présidente de l'association Voyons-Voir qui m'a aidée à construire ma démarche, à donner de l'importance à mes travaux préparatoires, à les envisager comme des étapes significatives vers un aboutissement et à diversifier mes techniques de réalisation. Toutes ces personnes que je rencontre, que ce soient les rencontres avec d'autres artistes ou les gens qui regardent mon travail lors des expositions m'aident à prendre du recul sur ma pratique et à percevoir les directions que je pourrais explorer. Actuellement, je sens que je suis allée au bout de ce travail de matière avec le minéral. J'ai envie d'aller vers quelque chose de plus léger. Peut-être d'explorer le végétal ....
Anne-Claude Ferdinand, A. Clif,
Née à Paris
Enseignante en arts plastiques
Médiateur culturel
Vit et travaille près d'Aix-en-Provence
Expose depuis 1995.
site A.Clif (cliquez pour y accéder)

1 commentaire:

pierre vallauri a dit…

Très bien cet interview! J'espère que tes lecteurs trouveront le temps entre deux achats/cadeaux de se rendre aux Cloitre des Oblats.
Ce que Anne-Claude dit des "flux" qui passent entre les artistes ou induits parles thèmes de réflexion proposés par Perspectives (par exemple!)est très important. Il est vital même . A.Clif en parle sans complexe. c'est bien.
Elle a la modestie de ne pas parler de son travail de transmission de la connaissance qu'elle "opère", 'au sens d"œuvre", dans ses ateliers de pratique artistique. C'est pourtant significatif et partie prenante (dans tous les sens du terme) et je voulais le souligner.
Pour son entrée dans le végétal , je lui offre quelques belles roses "virtuelles", certain de sa réussite.