dimanche 6 novembre 2011

paul des oiseaux

Elle a posé la main sur la poignée de la porte d’entrée, s’est retournée et a lancé, bon, vous vous préparez, on part bientôt !

On part bientôt, ça veut dire qu’il y a des courses à faire et ici on est loin de tout. On prendra la voiture, une demi-heure de route aller, une demi-heure retour. Là bas, la Presse, le supermarché.

Elle a ouvert la porte du poêle à bois, des braises d’un rouge déjà poudré de gris, blanc comme le fer, bientôt des cendres. Il faut garnir le Jotul (1) avant de partir. La panière est vide. Elle enfile les bottes, les gants de cuir, rêches, trop larges, sur lesquels il faut replier la main pour ne pas les perdre. La brouette est devant la porte, elle la roule jusqu’à la remise à bois dont la porte est succinctement fermée, une branche de prunier taillé pour caler le haut-vent du bas, un fil de fer pour celui du haut. Il y fait sombre mais l’habitude guide les gestes, elle prend des brassées de planches anciennes, retaillées à la dimension du poêle qui sentent fort le champignon et l’urine de chat, c’est un peu dégoûtant. Le bois déposé dans le panier, le poêle nourri, elle ôte les gants, les bottes claquent d’une manière si particulière contre les lattes du plancher quand elle traverse la pièce. Les bruits qui lui parviennent des chambres font comprendre que, là haut, on n’a pas fini de se préparer. Après tout, ça lui laisse un peu de temps.

Elle a posé la main sur la poignée de la porte d’entrée, elle a saisi sa veste et puis revient dans la pièce, s’empare de l’appareil photo, il n’est pas encore neuf heures, le ciel est absolument bleu. Elle prend l’allée de tilleuls, tourne à gauche dans le chemin qui descend jusqu’au Mars, le soleil se lève dans son dos, de trois quart, dessinant dans les herbes du pré de longues ombres blanches. Elle a déjà remarqué que le soleil lorsqu’il pointe augmente la couche de givre, la faisant bourgeonner autour des tiges et sur les feuilles, à croire que le givre est presque de la neige.

Il n’y a pas long jusqu’au pont. L’habitude de ralentir le pas en approchant pour faire le pas plus léger et tenter de surprendre les truites de la rivière en passant la tête par-dessus la rambarde. En cette saison et à cause des pluies, l’eau est haute, les pierres du fond couvertes d’un tapis de feuilles. Plus improbable d’apercevoir le corps allongé de la truite immobile à contre courant bouche ouverte, traversée par l’eau, gobant les bestioles qui pourraient la nourrir.

Tout de suite après le pont, elle coupe dans l’herbe, les orties ne sont pas plus hautes que la tige des bottes, en quelques pas elle atteint la rive. Elle sort l’appareil photo, elle est venue pour ça, pour le reflet des arbres sur le miroir de l’eau, le monde qui chavire, qui danse et se gondole. A genoux, elle cadre au plus près de l’eau, l’eau seulement, le miroir oblique du Mars, c’est tout ce qu’elle veut. Les fûts des frênes et des noisetiers forment comme un éventail de lances dressées vers le ciel. Le Mars vigoureux gronde. L’habit de fer luit dans le soleil, irrite les yeux de l’adversaire qui fait un pas en arrière. Les chevaux piaffent, les oriflammes claquent au vent. Micheletto da Cotignola se tourne vers ses hommes, les exhorte au combat. Le jeune guerrier ose la contre attaque qui bientôt met d’adversaire siennois en déroute, c'est un combat monstrueux dans les profondeurs du bois. Un fracas d’armes qui se heurtent à tout instant aux rameaux des chênes et des charmes , les lances frappent contre les écus, les mailles des hauberts crissent, le bois des lances résonne, et le fer des écus et des hauberts lance des éclairs blancs (2). Tant de tumulte que l’ennemi tremble de peur et prend la fuite, une débandade de poltrons. En peu de temps la place est vide. Elle range l’appareil photo dans son fourreau, se hâte de remonter vers le pont, le chemin, l’allée de tilleuls, la porte de la maison.

Elle a posé la main sur la poignée de la porte d’entrée, a fait un pas dans la grande pièce chaude. Alors, on peut y aller, vous êtes prêts ?

florence laude





Ce tableau de Paolo Uccello est l'un des trois panneaux qui ont pour thème le combat où les Florentins et leur chef Niccolo da Tolentino défirent les Siennois commandés par Bernardinodella Ciarda le 1er juin 1432. Les panneaux sont aujourd'hui dispersés à Paris, Londres et Florence, ils ornaient autrefois le palais des Médicis à Florence.

1. un Jotul est un poêle à bois suédois.
2. librement adapté de Perceval de Chrétien de Troyes.
3. le titre du texte est tout simplement la traduction du surnom du peintre Paolo Uccello, Paul des Oiseaux.

Pour en apprendre davantage sur Paolo Uccello et ces trois tableaux, cliquez ici.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Surprenante dans ton blog, et puis tout de suite révélante, cette façon d'écrire.On attend déja, on espère d'autres récits de cette narratrice qui longe l'allée de tilleuls et qui franchit le pont. On l'a reconnue, bien qu'elle soit parfaitement discrète, on découvre avec elle des lieux et des instants de vie. Le premier dénouement est inattendu, "quand l'habit de fer luit dans le soleil". Sincèrement bravo, on en redemande. A.P