mardi 12 juillet 2011

vanité

sculpture, à gauche, de Héribert-Maria Staub
pour composer une Vanité


Un Corbeau devant moy croasse,
Une ombre offusque mes regards,
Deux belettes et deux renards
Traversent l'endroit où je passe :
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquay tombe du haut mal,
J'entends craqueter le tonnerre,
Un esprit se présente à moy,
J'oy Charon qui m'appelle à soi,
Je voy le centre de la terre.

Ce ruisseau remonte en sa source,
Un bœuf gravit sur un clocher,
Le sang coule de ce rocher,
Un aspic s'accouple d'une ourse,
Sur le haut d'une vieille tour
Un serpent deschire un vautour,
Le feu brusle dedans la glace,
Le Soleil est devenu noir,
Je voy la Lune qui va cheoir,
Cest arbre est sorti de sa place.


Théophile de Viau, Ode, oeuvres poétiques 1624

2 commentaires:

alain paire a dit…

Très beau, très vrai dans cette circonstance, le poème de Théophile de Viau. Personnage gascon, baroque, libertin, persécuté, banni, emprisonné.

En février 2010, en compagnie de Pierre Vallauri et d'une amie du sculpteur, Doris Salomon, nous avions visité l'atelier et la maison d'Heribert Maria Staub. La voiture nous conduisait en bordure de Camargue, parmi de grandes flaques d'eau et des arbres ployés par le vent. Au bout d'un chemin, pas très loin du souffle des taureaux. Presque immobiles, tout à fait redoutables. Pas d'autre âme qui vive dans ce bout de monde, rien que les traces de la voiture du facteur.

Heribert était souriant et émouvant, trouvait peu à peu ses mots, s'arrêtait de parler, hésitait souvent : la solitude l'empêchait d'avoir usage du français. Dans le grand appentis-atelier qui sert aussi de garage - la Ferrari rouge remisée sous un drap - sur socles ou bien sur des étagères, impossible à raconter, cet incroyable défilé de portraits sculptés, des animaux, des oiseaux, des bustes, des bronzes et des plâtres. Innombrables, estropiées-hallucinées, empoussiérées, regards intérieurs, fronts plissés, ridés et tuméfiés, amertumes, rêveries ou bien colères, bouches qui se ferment et puis qui appellent, toutes sortes de caboches souvent difficiles à reconnaître, on comprenait mieux en lisant les cartels, ou bien on ne cherchait plus à les identifier, Kafka, Artaud, Borges, Büchner, Beckett, Nietzche, Freud, Mozart, Chopin, Dubuffet, Van Gogh ou bien Virginia Woolf.

Le plus poignant, c'était le demi-désordre de la salle de séjour de la maison, les piles de livres et les périodiques, les cigarettes, la cheminée avec crâne, ex-votos et crucifix, les collages de photographies noir et blanc ou bien couleur, la fenêtre qui donnait sur la verdure, des regards de femmes, le souvenir d'un chien, les dessins griffonnés qu'il avait punaisés sur les murs.

Pierre Vallauri et Doris Salomon promettaient cette exposition de l'automne prochain. Herbert était ému, amaigri sous son pull noir à col roulé. Le jour de son prochain anniversaire était imminent, déja soixante-dix ans, il semblait beaucoup plus jeune, ce chiffre de sept était quelque chose qui lui faisait peur, un très mauvais pressentiment, il disait qu'il n'y arriverait pas. Il riait, il nous observait ou bien se perdait, il nous serra très fort dans ses bras, il nous embrassa plusieurs fois. Cette solitude et cette création qu'il fallait prendre ou bien laisser, une fois de plus l'art de l'impossible.

Flo Laude a dit…

Alain, je découvre tes impressions après la visite de l'atelier-maison d'Héribert-Maria Staub et j'en suis émue. Tu partages avec moi certaines impressions de cette découverte sauf que ... la rencontre s'est faite pour moi en l'absence de l'artiste et en présence d'une médiatrice amie, Doris Salomon qui t'accompagnait également, à ce que je comprends. Je dois écrire aussi sur cet artiste et je pense bien que ce sera à présent un dialogue qui répondra à cette conversation que nous aurions pu avoir et qui se fera un peu par écrit...
à bientôt donc.