dimanche 2 janvier 2011

Lézard des rues (article initialement publié en janvier 2011)

J'aperçus sur la bâche de la devanture d'un Mona lisait, un homme blanc de Mesnager. Je pensai: quoi de mieux pour l' année à venir que la position du lecteur couché dévorant des livres d'art? En écrire aussi. Avoir du temps pour çà et pour peindre. Les arts des rues dans le prolongement de l'intérêt pour le travail de Basquiat (première période).

Jérôme Mesnager donc, pour commencer. "Né en 1961, il entre à l'École Boulle en 1974 où il suit la formation d'ébéniste et où il enseignera par la suite. Il est l’un des fondateurs en 1982 de « Zig-Zag », un groupe d’une dizaine de très jeunes artistes en « zig-zag dans la jungle des villes » : ils avaient découvert la possibilité d’occuper la rue, en dessinant des graffitis, et aussi d’occuper brièvement, le temps d’une performance artistique, des usines désaffectées.
Le 16 janvier 1983 il invente l’Homme en blanc, « un symbole de lumière, de force et de paix ». Cette silhouette blanche appelée Corps blanc ou l'homme blanc, Jérôme Mesnager l'a reproduite à travers le monde entier, des murs de Paris à la muraille de Chine." (Wikipédia)
On peut compléter avec un article de Chris Kutschera ici .

Une autre fois, sur des vitres, je découvris Un chat jaune, (cliquez sur la photo pour voir plus distinctement cet espiègle chat jaune), autre icône des arts urbains. Création de l'artiste franco-suisse Thomas Vuille (clic) (né en Suisse en 1977). Il faut absolument cliquer ici pour lancer un diaporama sur ce chat qui vous sourit ou qui sourit à la vie (c'est pas mal pour un chat ... de souri(s) - re ). Certes, le plus souvent il faut marcher le nez en l'air pour l'apercevoir. Il aime particulièrement, comme ses congénères, se hisser sur des escarpements improbables, rebords, conduits de cheminées, où il paresse avec un flegme provocateur . D'où son sourire ! À partir de 2003, des ailes blanches lui poussent sur le dos.

J'ai lu, à sa parution en juin 2004, cette excellente BD d'une toute jeune auteure, Pome Bernos , éditons Emmanuel Proust. (clic)
Le personnage, un pigeon-parisien y croise le chat jaune de Vuille, l'homme en noir de Némo, l'homme en blanc de Mesnager, les invaders d'un artiste français anonyme, autant d'images peintes sur les murs des villes (du monde entier !).
Sur la quatrième de couverture, on peut lire: "Pome Bernos, 25 ans, signe une superbe métaphore sur la place réservée à l'homme et à l'art dans notre société. "
Sur les murs de Paris et d'ailleurs, l'homme en blanc croise souvent l'homme en noir . Pome Bernos fait de ces figures peintes sur les murs par des artistes, les interlocuteurs de son pigeon ordinaire.
“Les Murs murés sont atroces... Ce n’est pas drôle de vivre dans un quartier comme ça. Pourquoi ne pas permettre de peindre ces murs, le temps que dure la rénovation, ou ... jusqu’à la destruction?” dit l'artiste Némo.


Ses personnages (ceux de l'artiste Némo), un homme en noir, jouant avec un fusil, une canne à pêche ou un parapluie, et le petit NEMO (du “Little Nemo” de Winsor McCay), hantent les murs du 20°: ils apparaissent soudain, au détour d’une rue, sur un mur lépreux, sur une porte condamnée ou une fenêtre murée, créant une étonnante atmosphère de poésie et de rêve dans cet arrondissement qui est en train d’être massacré: “Je reste dans le 20°, j’ai fillette posant devant l'homme noir au parapluie rougebeaucoup de mal à franchir le boulevard... j’habite le quartier depuis 20 ans, je connais par cœur Ménilmontant, la travailleuse, et Belleville, le quartier du commerce et de l’amusement: après avoir travaillé à Ménilmontant, on allait boire et jouer aux boules à Belleville et faire la fête dans ses cabarets et ses théâtres ”. NEMO a commencé à bomber il y a 14 ans, son petit personnage, avec des animaux, des tigres, des oiseaux, des ballons, un peu n’importe où, sur les murs des écoles et ailleurs. Lire ici la totalité de l'article de Chris Kutschera (clic) .

Les invaders , petites figures d'envahisseurs rouges, verts, noires ou jaunes, réalisées en carreaux de mosaïques, peuplent aussi de nombreuses villes... je viens de lire que le quotidien "La Provence" daté du 25 décembre 2010 (clic) leur consacrait un article. Ils sont arrivés à Marseille !

Des petites mosaïques miroitent çà et là, notamment à la gare Saint-Charles, près du Vieux-Port.... Il suffit de s'approcher, ou plutôt de reculer, pour apprécier leur particularité. Ces petits êtres de l'espace sont apparus dans les jeux vidéo des années 1970-1980. Les envahisseurs à pixels sont venus s'agripper à nos murs en 2004.

Derrière cette incursion, Space Invaders, un artiste français qui garde précieusement son anonymat. "L'idée est 'd'envahir' la planète en répandant dans des villes du monde entier des personnages inspirés des premières générations de jeux vidéo et principalement du célèbre Space Invaders", explique-t-il. Il commence par occuper les rues parisiennes pour s'attaquer au reste du monde. D'Hollywood à Tokyo en passant par Istanbul, toutes les grandes villes ont eu droit à leurs pixels. Marseille a aussi reçu les siens. (La Provence)
Pour terminer, je rendrai hommage à l'artiste Miss-tic, dont un ami m'a fait découvrir le travail, dernièrement. http://www.missticinparis.com/ (clic) . Chris Kutschera (encore lui, oui. Je l'ai trouvé partout où je cherchais des informations sur ces artistes, il faut donc le remercier et rendre hommage à son travail ) l'appelle La poétesse de la galère . "Miss Tic est très officiellement “plasticienne poète”! Mais elle se sent “plus écrivain que peintre... L’écriture m’accompagne depuis plus longtemps". Elle couvre les murs d'aphorismes poétiques à connotations souvent sexuelles illustrés de silhouettes féminines noires, peintes au pochoir.

La femme qui se cache derrière ce pseudonyme est née à Paris dans le 10°; elle vit aujourd’hui près de la Porte d’Italie, et elle recouvre les murs de Paris de ses poèmes et de ses pochoirs. Elle a ses fans, qui photographient et collectionnent ses oeuvres. Elle vit et travaille dans un atelier d’artiste de la Ville de Paris et expose dans plusieurs galeries. Mais la galère, elle connaît. Lire la suite de l'article de C. K. ici (clic).


Les rencontres avec les figures dont je témoigne ici sont inscrites dans la durée. Il m'a fallu du temps, beaucoup d'années à marcher dans les villes, à croiser telle ou telle figure , à me renseigner et à devenir un peu curieuse de temps à autre de ce que j'avais regardé, photographié à l'occasion. Il a fallu certainement aussi des rencontres avec des artistes issus de cet art de la rue, comme Combas. Des lectures et des expos telles celle de Basquiat (dont l'esthétique et le procédé étaient bien éloignés de ceux des artistes mentionnés ici) pour faire du sens et tisser des liens entre toutes ces démarches individuelles. On a pu voir que certains ont "travaillé" en groupe avec un esprit revendicatif. Le discours de Miss-tic est aussi significatif, se considérer davantage poète que peintre.
Ces oeuvres, silhouettes d'hommes et de femmes, sont là pour dire, pour passer un message poétique, réveiller le passant et pour ainsi dire lui ouvrir les yeux, lui sourire au passage. On a dit : attention les murs ont des oreilles! Cela a sans doute contribué à déprécier l'espace urbain, à le rendre, à l'appui de bien d'autres phénomènes, un lieu dans lequel il faut passer sans s'attarder, sans parler, donc sans parole, peu vivant, peu poétique. Ce que j'apprécie avec les arts des rues et ceux sur lesquels je viens d'écrire en particulier, c'est qu'ils réconcilient l'urbain et l'humain, qu'ils dialoguent avec la pierre ... Il est significatif, dans la bande dessinée de Pome Bernos, que ce soit un pigeon (métaphore des SDF, des errants, des oisifs (il n'y a pas loin de oisif à oiseau) ?) qui, candidement, ouvre les yeux sur ces petits poèmes peints... Ne faut-il pas déjà être de/dans la rue pour les voir? Ne faut-il pas aimer la rue, les villes pour leur trouver du charme, de la poésie?

Je n'ai donné ici qu'un tout petit aperçu des arts de la rue. L'exposition "TAG au Grand Palais" en 2009 donnait, par exemple, un espace de visibilité ( de notoriété ?) à une autre branche de ces expressions urbaines... les TAG. Il en existe certainement d'autres que je ne connais pas ou auxquelles je ne pense pas en écrivant à présent ... Nous sommes de petites choses et nos yeux sont encore plus petits (et la vue baisse , ma pauvre dame!) et nous ne voyons que ce qui est autour de nous, à portée de regard...c'est notre finitude...à excuser.

4 commentaires:

pierre vallauri a dit…

Tes analyses sont toujours excellentes . Formulerai-je un voeux en ce début de d'année?
Encore et en corps!type oiseau /oisif !
Pour dire aussi que j'ai vu à Auroville en Inde tout près de Pondichery sur l'architecture de maisons révolutionnaires pour l'époque, des "hommes en blancs" sans pouvoir dire qui les avait peint (le mot "tagé" n'existait pas!)Grace à toi le nom de J.Mesnager vient signer de belles images ... de rue.

Flo Laude a dit…

Merci Pierre.
Eh oui, quand on aperçoit un dessin surgit quelque part, on le reconnaît et on se dit "tiens, alors il (elle) était ici " ... et tout cela fait du sens et tout cela semble alors un peu familier. Et pourtant ...

La défriche a dit…

Cette Pomme Bernos a semble t-il disparu de la circulation... Dommage, j'avais bien aimé son Pigeon...
Bravo pour ce long et bel article!!!

Flo Laude a dit…

je promets une petite suite bientôt !

Oui, je ne sais pas ce qu'elle est devenue ... j'ai cherché parfois à savoir si elle avait publié autre chose car elle avait un contrat pour 2 ou 3 albums aux éditions E. Proust, en vain. Sa mère est l'auteure Clotilde Bernos, en littérature jeunesse.